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La prochaine fois, le feu de James Baldwin

Ma première lecture de James Baldwin!

James Baldwin 1924-1987

Auteur américain de romans, essais, poèmes, nouvelles, théâtre…

« La prochaine fois, le feu » est un essai en deux parties:

Lettre à mon neveu:

La première est une lettre adressée a son neveux avec l’idée de transmission, à travers son affection pour son frère qu’il a vu grandir.

A aimer quelqu’un pendant aussi longtemps, d’abord le nourrisson en lui, puis l’enfant en lui, puis l’homme en lui, on acquiert une notion particulière du temps, de la peine et de la misère des hommes. Les autres ne peuvent pas voir ce que je vois quand j’observe le visage de ton père, car derrière le visage qu’il a maintenant sont tous ces autres visages qui fussent les siens.

Dans cette lettre, il y décrit la place de son neveu dans cet Harlem des années 60, il y prodigue des conseils, les erreurs à ne pas commettre.

Cette nation innocente t’a relégué dans un ghetto au fond duquel elle comptait, en fait, te voir périr.

Les mots sont puissants, les condamnations sont sans appels, James Baldwin a à cœur que son vécu personnel ne soit pas répété par son neveu.

Ainsi avait-on fixé, et à jamais pensait-on des bornes à ton ambition. Tu étais né dans une société qui affirmait avec une précision brutale et de toutes les façons possibles que tu étais une quantité humaine absolument négligeable. On n’attendait pas de toi que tu aspires à l’excellence. On attendait de toi que tu pactises avec la médiocrité.

Au pied de la croix – Lettre d’une région de mon esprit

Dans la deuxième partie, la plus longue et intéressante, James Baldwin parle de son enfance, ses choix de destin, l’ambiance de son quartier, les pièges dans lesquels il n’est pas tombés…

En dépit de l’équation puritano-yankee entre la vertu et le bien-être, les Noirs ont de très bonnes raisons de douter que ce soit par une très notable fidélité aux vertus chrétiennes que se font les fortunes.
Ce n’était en tout cas pas, me disais-je, ce qui s’est produit pour les chrétiens de race noire. De toute façon les Blancs qui avaient volé aux Noires leur liberté et à qui ce vol profitait à chaque instant de leur vie ne se trouvait pas dans une position moralement très forte.
Ils avaient pour eux les juges, les jurys, les fusils de chasse, la loi, en un mot le pouvoir. Mais il s’agissait d’un pouvoir criminel, qu’il convenait nos pas de respecter mais de craindre et de bafouer par tous les moyens possibles. Et ces vertus prêchés mais non pratiquées par les Blancs n’étaient rien de plus qu’une autre façon de maintenir les Noirs en esclavage.

Son rapport à la religion, à la police, au fait d’être un jeune noir dans une société ségrégationniste.

De même qu’aux yeux des Blancs nous étions les descendants de Cham et maudits à jamais de même ceux-ci étaient pour nous les descendants de Caïn. Et le caractère passionné de notre adoration pour le Seigneur était à l’image de la profondeur de notre crainte, de notre haine au fond de quasiment tous les étrangers, à l’image aussi de notre façon de nous fuir et de nous mépriser nous-mêmes.

Ce récit parle aussi de son ambition inespérée d’être écrivain, sa place une fois reconnu, sa rencontre avec les Black Muslim (notamment un de leurs leaders religieux,  Elijah Muhammad) et explique pourquoi ce mouvement est à la fois un espoir et une impasse selon lui.

La prochaine fois le feu, explication de texte: plus jamais ça, plus comme avant!

Il faut beaucoup de souplesse spirituelle pour ne pas haïr celui qui vous hait et dont le pied écrase votre nuque, et ne pas apprendre à vos enfants à le haïr exige une sensibilité et une charité encore plus miraculeuses.

J’ai beaucoup aimé le style de l’auteur, très pertinent, analytique, percutant, juste, en phase avec son temps! C’est un texte essentiel, à lire absolument!

Je ne saurais accepter de n’avoir point voix au chapitre des affaires politiques de mon pays. Je ne suis pas sous la tutelle des Etats-Unis. Je suis un des premiers Américains à être arrivés sur ces rives. Le passé du Noir, ce passé de corde, de feu, de torture, de castration, d’infanticide, de viol; de mort et d’humiliation; de peur, jour et nuit; de peur qui la pénètre jusqu’à la moelle des os; de doute qu’il soit digne de vivre puisque tous ceux qui l’entourent affirment le contraire; de chagrin pour ses femmes, ses parents, ses enfants qui avaient besoin de sa protection et qu’il ne pouvait protéger; de rage, de haine et de crime, de haine pour les hommes blancs, si violente que souvent elle rejaillissait sur lui et rendait tout amour, toute confiance, toute joie impossibles…

J’ai bien envie de continuer à découvrir les autres récits de l’auteur, peut être du côté de la fiction ou de poursuivre vers « I am not your negro » en livre ou film.

Si nous n’avons pas, et dès aujourd’hui, toutes les audaces, l’accomplissement de cette prophétie, reprise de la Bible dans une chanson écrite par un esclave, est sur nos têtes :
« Et Dieu dit à Noé,
Vois l’arc en le ciel bleu
L’eau ne tombera plus
Il me reste le feu… »

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